La petite histoire de l'Oratorio de Noël à Paris - 5ème épisode
Sur les traces de ...


La Société J.-S. Bach (salle Gaveau) annonce pour le vendredi 26 novembre [1909], l’Oratorio de Noël avec une interprétation vocale réunissant les noms, justement célèbres en Allemagne, de Mlle Hamburger, Mlle Maria Philippi*, MM. Baldzum et Haas. L’orgue sera tenu par M. Albert Schweitzer. Orchestre et chœurs sous la direction de M. Gustave Bret.
On l’aura deviné, ce nouvel Oratorio de Noël, annoncé par Le Ménestrel, est tout à fait exceptionnel pour l’époque : il est en effet le fruit d’une collaboration franco-allemande… inaugurée cinq ans auparavant par deux fervents admirateurs de Bach, Albert Schweitzer et Gustave Bret.
À la fin de l’automne 1904, alors qu’il corrige les dernières épreuves de l’édition française de son Bach, le musicien-poète qui paraîtra en janvier 1905 avant la version allemande, l’Alsacien se lie d’amitié avec le Parisien. Celui-ci est en train de fonder une véritable Mission musicale : la Société Jean-Sébastien Bach, vouée à la connaissance et la diffusion de l’œuvre du Cantor à Paris.
Le comité de parrainage compte les grands noms du moment, Fauré, d’Indy, Dukas, Roussel, Widor, ou encore Alexandre Guilmant qui sera l’organiste attitré de la Société durant deux ans. Le premier concert de la Société Bach a donc lieu le 11 mars 1905, avec la grande Cantate BWV 75 Die Elenden sollen essen (« Il faut que les pauvres aient à manger ») en 14 mouvements, et le Concerto pour clavecin en sol mineur BWV 1058 sous les doigts de Wanda Landowska.
Albert Schweitzer qui rédigeait déjà tous les programmes et notices, prendra le relais en mars 1907 pour 17 concerts. C’est le très dévoué Alexandre Cellier qui lui succédera en mai 1912 et restera fidèle au poste jusqu’à la fin…
La guerre de 14 interrompt les activités de la Société qui reprendront heureusement de plus belle dès 1919 à l’église réformée de l’Étoile, dotée d’un excellent Cavaillé-Coll dont le titulaire est justement Alexandre Cellier.
Les Concerts spirituels de l’Étoile auront toujours lieu le vendredi à 9 heures du soir, et à raison de 12 concerts par an, dont 6 pour chœur et orchestre, on ne comptera plus les auditions de cantates, Passions ou Messe en si.
L’Oratorio de Noël se fait plus rare…
On en recense en tout et pour tout cinq exécutions: les 10 février 1922, 19 décembre 1924 (seulement des extraits), 21 décembre 1928, 18 décembre 1931, 18 décembre 1936.
La très prochaine consultation des archives de l’Étoile nous donnera peut-être des réponses aux questions en suspens : programmes, parties exécutées, coupures, langue adoptée…
Les enregistrements des cantates et les éditions des Passions en français par la Société Bach nous font supposer que l’Oratorio de Noël n’échappait pas à la règle, du moins dans l’entre-deux-guerres. Mais le mystère reste entier, s’agissant du premier concert de 1909, les solistes étant tous allemands ou alémaniques…
Quant aux coupures, les conseils de Schweitzer à Bret sont sans ambiguïté: « Vous voyez que je coupe plus que vous, mais par grands morceaux. Le public se lasse plutôt des airs que des chœurs et des chorals. »
La coupure définitive survient en 1940 quand Gustave Bret se retire à Fréjus où il sera l’organiste titulaire de la Cathédrale jusqu’à sa mort en 1969, à l’âge de 94 ans. Pour sa part, Alexandre Cellier reste à la tribune du temple de l’Étoile qu’il quittera en 1967, après 57 ans de bons et loyaux services…
… pour "la grandeur de Bach" à la seule gloire de Dieu !
* Mezzo bâloise (1875-1944), interprète renommée des Passions de Bach. Romain Rolland l’entendit dans la Matthäus-Passion, le 10 mars 1917 à la cathédrale de Bâle, « avec un renforcement d’orchestre, que J.-S. Bach n’avait pas prévu : la canonnade d’Alsace, comme basse continue. C’était très émouvant. » (lettre du 11 mars 1917 à Sofia Bertolini)
Sous la direction de Gustave Bret, quelques belles surprises…
Sur Youtube
1) Le premier enregistrement de la Cantate des paysans BWV 212 (28 mars 1934)
Version abrégée chantée en français par la soprano Jeanne Guyla et le baryton Martial Singher (gendre de Fritz Busch et futur professeur attitré de …Thomas Hampson)
2) L’aria « Nimm mich dir zu eigen hin » de la cantate BWV 65 pour l’Épiphanie, enregistrée le 27 juin 1936 par… Georges Thill, en français bien sûr: « Prends mon cœur, il t’appartient, Tout entier, je suis à toi… »
Sources :
Le Ménestrel 4104 – 75e Année - No 47, Samedi 20 novembre 1909
« Albert Schweitzer, un musicien à Paris »,
Conférence de Jean-Paul Sorg, président honoraire de l’Association Française des Amis d’Albert Schweitzer, vendredi 17 mai 2013, Mairie du 6ème Arr.
« Les Organistes français, interprètes et compositeurs, au concert à Paris de 1919 à 1939 », Alain Carteyrade, Bulletin No 12 / 2012 de l’Association Duruflé.
Plus une allusion à « La grandeur de Bach », le beau livre de Joël-Marie Fauquet et Antoine Hennion, Fayard 2000